Droit d’auteur : le mauvais combat de la Commission

3 novembre 2014 par - Vue(s) d'Europe

La Commission présidée par Jean-Claude Juncker l’avait claironné haut et fort, le retour de la croissance serait sa priorité principale. Au vu des auditions des commissaires organisées au Parlement européen et à la feuille de route transmise aux commissaires en charge du numérique, l’allemand Günther Goettinger et l’estonien Andrus Ansip, il semble bien qu’il y en ait une seconde, toute aussi urgente : « briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d’auteur. »

Le monde de la culture espérait que la nouvelle Commission européenne, mené par un Jean-Claude Juncker qui avait déclaré sa flamme à la culture européenne 9 ans plus tôt à Paris, allait créer les conditions d’un nouveau dialogue entre les créateurs et Bruxelles, après le désastre de la Commission Barroso. Ses premières prises de position assez va-t’en guerre n’invitent guère à l’optimisme car les coups de menton du nouveau Président de la Commission ont trouvé aussi des prolongements chez le vice-président Ansip lors de son audition par les députés européens avec des arguments qui méritent d’être décortiqués.

« Si je peux regarder un match de foot en Estonie, mais pas à Bruxelles, c’est tout simplement injuste». Voilà les déclarations qu’un des principaux responsables de la Commission est donc encore capable de faire en 2014. Il ne faut pas feindre la surprise car déjà, lors de l’élaboration de la directive Télévisions sans Frontières dans les années 80, les eurocrates n’avaient pas de mots assez durs contre la territorialisation des droits, ceux du foot comme ceux des films.

Le financement et la commercialisation des films et des œuvres audiovisuelles, territoire par territoire, n’ont pourtant pas empêché l’explosion du nombre d’œuvres depuis 30 ans et n’ont pas rendu impossible leur circulation sur le territoire européen. Mais, le leitmotiv reste le même et bien éloigné de toute préoccupation d’intérêt général : l’expatrié bruxellois, qui bénéficie d’un régime fiscal déjà très favorable, devrait aussi pouvoir jouir des mêmes programmes télévisés et de la même offre d’œuvres que celles dont il dispose dans son pays d’origine !

Y’a-t-il un mouvement massif d’expatriation au sein de l’Europe qui pourrait justifier une demande croissante de nos concitoyens d’avoir accès à tout partout en Europe ? Non, si l’on en croit une étude rendue récemment publique qui rappelait qu’en 2011, seuls 3,3% de la population européenne vivaient dans un autre pays européen que son pays d’origine ou y avait seulement passé une journée.

Dans ces conditions, est-ce que l’intérêt très personnel de hauts fonctionnaires ou de responsables politiques rend légitime de s’attaquer à ce qui contribue au foisonnement de la création européenne ? Est-ce que réformer en profondeur une politique publique ne devrait pas impliquer de procéder a minima à un bilan des coûts et des avantages de nouvelles mesures ? Cela serait évidemment lamentable si la Commission, au nom d’intérêts très particuliers, refusait de voir en quoi ce qu’elle appelle les « barrières nationales » sont un facteur positif pour le financement des œuvres.

Ces « obstacles » nationaux sont le signe d’une réelle diversité linguistique sur le continent européen que personne n’a heureusement encore songé à dénoncer et témoignent souvent aussi de la nécessité d’optimiser, territoire par territoire, la vente des programmes et des films pour boucler le pré-financement d’une œuvre.

La Commission européenne ne peut ignorer non plus que tout cela ne relève en rien du droit d’auteur, injustement pointé du doigt dans cette affaire, comme l’a souligné Bertrand Tavernier récemment. Non seulement, les auteurs sont les premiers à souhaiter que leurs œuvres circulent, soient diffusées et trouvent leur public mais la rémunération des auteurs n’est tout simplement en rien responsable des financements territorialisés.

Bref, la confusion savamment entretenue entre des pratiques commerciales entourant la vente et la distribution des films et le droit d’auteur laissent à penser que certains s’ingénient à accuser de la rage le chien qu’ils aimeraient noyer. Un bien mauvais combat pour une piètre ambition.

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