L’affaire Canal + : Jet-lag dans le Thalys

10 juillet 2017 par - Vue(s) d'Europe

L’actualité française déborde parfois sur les enjeux européens. Tel est le cas avec la politique mise en œuvre par le groupe Canal +, propriété de Vincent Bolloré, à l’égard des auteurs et du paiement de leurs rémunérations : depuis 6 mois, de façon parfaitement unilatérale et arbitraire, l’opérateur audiovisuel français a décidé ne plus respecter ses engagements, de ne plus honorer les contrats qu’il avait librement consentis auprès des sociétés d’auteurs, dont la SACD, et de ne plus verser aucune rémunération aux auteurs.

Cette pratique, qu’on s’attendrait davantage à rencontrer dans une République bananière plutôt que dans un Etat de droit, se déroule donc aujourd’hui en France. Elle est le fait d’un groupe audiovisuel solidement installé, connu pour avoir des engagements forts à l’égard de la création et disposant de 4 fréquences d’utilisation du domaine public hertzien. Ce groupe et sa maison-mère Vivendi ne ménagent pas non plus leur peine pour exercer un lobbying intense en Europe afin de convaincre, à juste titre, des dangers du piratage sur la création artistique et de la nécessité de protéger le droit d’auteur.

Oui, vous avez bien lu, ce groupe, qui lutte farouchement pour contrer à Bruxelles les tentatives de remise en cause du droit d’auteur est le même qui, à Paris, piétine allégrement les droits des auteurs et risque de fragiliser gravement les rémunérations des créateurs. C’est aussi le même qui pourfend le piratage en Europe et qui exploite et diffuse depuis 6 mois des milliers d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques sans rémunérer les auteurs !

Les effets du jet-lag entre Paris et Bruxelles ne pouvant expliquer une telle schizophrénie, on peine à distinguer dans ces positions orthogonales un début de logique et de cohérence. La vérité oblige à dire qu’il n’y en a pas !

En revanche, de cette affaire dont on espère qu’elle se terminera avec un retour du groupe de Vincent Bolloré sur le chemin de la légalité, nous pouvons en tirer une leçon et un espoir.

Du côté de la leçon : les sociétés d’auteurs sont aujourd’hui les seules à garantir aux auteurs une défense collective et organisée pour les défendre au mieux. Sans elles, ils se trouveraient isolés face à des interlocuteurs surpuissants dans un rapport de force brutal et totalement déséquilibré. C’est la vocation de la SACD, société civile à but non lucratif détenue et co-gérée par les auteurs depuis plus de 200 ans, contrôlée tous les ans par la Commission de contrôle rattachée à la Cour des comptes.

Cette affaire est aussi un encouragement : pour éviter qu’un auteur ne se retrouve seul, sans soutien et au piège d’un rapport inégal avec un opérateur toujours plus puissant que lui, rien ne peut mieux justifier la nécessité de soutenir, dans le cadre de la réforme de la directive droit d’auteur, l’instauration d’un droit à rémunération inaliénable pour les auteurs, gérés de façon collective.

Dans un monde en transition numérique et dans lequel la volonté des plus forts d’imposer leur loi à tous s’est encore renforcée, la meilleure régulation est toujours de donner aux plus faibles les outils les plus adaptés pour se défendre.

A l’évidence, la reconnaissance d’un droit commun pour tous les auteurs à une juste rémunération garanti par la directive européenne et consacré par la force du nombre et du collectif serait la meilleure des réponses. Elle est même d’une grande urgence.

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