L’Europe, nouvelle colonie américaine ?

17 février 2015 par - Vue(s) d'Europe

Quand il n’est pas en train de tourner des vidéos humoristiques pour vanter son action, Barack Obama, le président des Etats-Unis, a une autre activité : lobbyiste en chef des géants du Net américains.

Si ceux-ci dépensent chaque année des fortunes en lobbying auprès du Congrès américains et des institutions européennes , ils ont trouvé un précieux renfort avec un Barack Obama qui n’a pas fait dans la demi-mesure pour fustiger le protectionnisme européen à l’égard de multinationales du Web qui, pour certaines, ont généreusement financé sa dernière campagne.

Qu’on en juge avec cette récente interview donnée au site Recode.net qui distille :

– des moments de grande élégance et de finesse (« Certains pays sont très sensibles sur ces sujets, comme l’Allemagne, étant donnée son Histoire, avec la Stasi. ») ;
– des sommets d’hypocrisie («pour leur défense, parfois les réponses européennes sont davantage dictées par des intérêts commerciaux. ») ;
– des réflexes de colonisateurs moyenâgeux («Nous avons possédé Internet. Nos entreprises l’ont créé, l’ont étendu, l’ont perfectionné, de telle manière qu’ils (les Européens) ne peuvent pas lutter. »).

Dans ces moments-là, on peut évidemment se réjouir que la France ait obtenue de l’Union européenne l’exclusion des services audiovisuels et cinématographiques du mandat de négociation commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis ! Car l’on devine aisément les intentions néfastes du gouvernement américain concernant les règles de soutien à la diversité culturelle dans l’univers numérique.

Mais, ce bombage de torse du président américain doit rappeler à l’Europe l’exigence qui doit être la sienne et l’ambition qu’elle doit défendre. Au-delà des discours et de la rhétorique, la meilleure réponse est désormais de construire une régulation en Europe qui construise les bases d’une concurrence loyale, d’une fiscalité juste et d’un financement équilibré de la création auquel participent tous ceux qui en bénéficient.

Le président Obama se garde bien de rappeler que cette puissance des géants américains du Net s’est aussi construite sur l’incapacité de l’Europe à appliquer aux GAFA des règles fiscales justes et à les impliquer dans les politiques culturelles. Il ne rappelle pas non plus qu’une bonne partie de la trésorerie de toutes ces sociétés, qui se chiffre en centaines de milliards de dollars, se trouve aujourd’hui entassée dans des paradis fiscaux et échappent – du moins encore – au fisc américain.

Les responsables politiques européens doivent d’urgence mettre fin à cette faillite européenne, grave et profonde, qui met en cause l’économie de l’Europe, la compétitivité des entreprises européennes engagées dans une concurrence faussée avec des entreprises qui pratiquent l’optimisation fiscale à outrance et la pérennité des politiques de soutien à la création.

C’est peut-être là le mérite de cette déclaration provocatrice du président américain que d’inviter tous les dirigeants européens à prendre conscience des risques d’une domination américaine sur l’Europe et à réviser leur lecture des réformes à engager. Cela devrait notamment inciter le Vice-Président de la Commission, M. Ansip, à s’interroger sur sa réforme du droit d’auteur qui, en l’état, favoriserait les plateformes de distribution (américaines) au détriment des créateurs (européens). Cela devrait aussi être un encouragement pour le commissaire au numérique, M. Oettinger, à accélérer la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels et à promouvoir l’application dans chaque pays des règles nationales de soutien à la création par tous les services ceux qui y diffusent des œuvres.

En revanche, si rien ne change, le risque sera grand de voir l’Europe devenir ce que le Sénat avait appelé, à juste titre, une colonie numérique.

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