Le conflit auteurs danois / Netflix et HBO : un enjeu européen

5 novembre 2018 par - Vue(s) d'Europe

Connu pour ses séries à succès (Borgen, The Killing, The Rain..), le Danemark est aujourd’hui au cœur de l’actualité avec le conflit opposant les scénaristes, réalisateurs et acteurs danois aux géants HBO et Netflix.

Le mouvement de contestation s’est cristallisé autour du refus de HBO et de Netflix de respecter les accords collectifs relatifs à la rémunération des auteurs et des acteurs. Prévoyant une partie de rémunération en salaires et des royalties versées en lien avec les recettes issues de l’exploitation des œuvres, les règles collectives danoises ne plaisent pas aux deux opérateurs américains, impliqués dans des projets de production locales. Ils leur préfèreraient un système plus simple mais qui dépouille scénariste, réalisateur et acteur de tout espoir de pouvoir être associé aux succès des œuvres. En clair, il s’agit de passer au système du forfait !

L’avenir dira si les créateurs danois sauront, comme leurs confrères et consœurs américains au terme d’une longue grève en 2008, obtenir gain de cause mais d’ores et déjà, cette histoire est riche d’enseignements.

D’abord sur la nécessité de construire en Europe des règles qui protègent les auteurs, scénaristes comme réalisateurs. Aucun producteur ou diffuseur américain, aussi puissant soit-il, ne prendrait la liberté de s’exonérer des conventions collectives qui régissent les relations avec les auteurs aux Etats-Unis. Rien ne justifie donc que les auteurs soient aussi fragilisés en Europe dans leurs relations contractuelles, qu’elles aient lieu avec Netflix ou avec un producteur indépendant. Il y a aujourd’hui une défaillance d’encadrement des relations contractuelles, largement partagée en Europe, et qu’illustre d’ailleurs l’absence de solidarité actuelle des producteurs danois avec les auteurs dans ce conflit.

Ensuite, dans la reconnaissance à laquelle les auteurs devraient avoir droit. La richesse de la création danoise a convaincu toute l’Europe et a suscité l’intérêt d’opérateurs américains reconnus pour la qualité de leurs productions. Faudrait-il que la rançon paradoxale de ces succès soient moins de droits et moins de rémunérations pour les créateurs qui sont, sauf erreur, au centre la création ? Ce serait marcher sur la tête.

Enfin et surtout, ce conflit prend place dans un moment particulier, celui de l’examen de la directive sur le droit d’auteur par les institutions européennes. Dans quelques mois, les jeux seront faits. D’ici là, l’Europe a une chance et une responsabilité particulières et uniques. Alors que les débats se sont focalisés pour l’instant sur l’article 11 créant un droit voisin pour les éditeurs de presse et l’article 13 traitant du transfert de valeur entre les industries numériques et celles de la création, l’heure est venue de défendre avec force l’article – 14 qui garantit aux auteurs un droit à une rémunération juste et proportionnelle. C’est la condition essentielle pour faire de l’Europe une terre qui protège réellement ses créateurs.

Finalement, si ce conflit dit quelque chose sur l’Europe, c’est sans doute de l’urgence à doter l’Union europeenne de règles qui permettent à chaque auteur, où qu’il soit en Europe, de revendiquer un droit légitime à bénéficier de cette rémunération juste et proportionnelle quand l’œuvre qu’il a crée est exploité. Nul producteur, nulle plateforme, européenne ou non, ne doit pouvoir priver un seul auteur de cette garantie essentielle. En France, la gestion collective et les accords passés par la SACD avec Netflix et les autres plateformes assurent aux auteurs de percevoir une rémunération proportionnelle mais dans la plupart des autres pays européens, ce n’est pas le cas. Le Danemark en est aujourd’hui une malheureuse illustration.

Espérons donc que nos législateurs européens seront attentifs à ce qui n’est pas un simple conflit mais bien plus une alerte sur les défaillances, les fragilités et les manques de l’espace européen.

Pour éviter qu’avec  Shakespeare, on ait à faire le constat qu’« il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark » et plus largement en Europe, le mouvement des auteurs danois doit être entendu, compris et ne doit pas rester sans réponses. La seule véritable réponse à la hauteur de l’enjeu est européenne et s’appelle l’article – 14.

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