De ces petits pas pour rattraper des géants

18 juin 2014 par - Vue(s) d'Europe

La presse européenne détaille chaque semaine les pratiques fiscales abusives, pudiquement dénommées optimisation fiscale,  des grandes multinationales numériques dont l’un des récents exemples est l’installation de Netflix aux Pays-Bas, un pays fiscalement très attrayant.  Mais que faisait pendant ce temps le groupe de réflexion de haut niveau sur la fiscalité de l’économie numérique, mis en place en novembre dernier par le Commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Šemeta ? La réponse est venue ces derniers jours avec la publication d’un rapport et de propositions. Une initiative parmi d’autres pour s’attaquer à un problème à la hauteur de ces géants d’internet.

La perte de revenus due à la fraude et aux stratégies d’optimisation fiscale dans l’Union européenne a été estimée à 1000 milliards d’euros par an.  Au-delà d’un manque à gagner évident pour des Etats qui ont cruellement besoin de ressources budgétaires et pour les citoyens ainsi soumis à une pression fiscale accrue, l’optimisation fiscale agressive relève de la concurrence déloyale, vis-à-vis d’entreprises locales et nationales qui s’acquittent de leurs impôts et taxes. Une concurrence déloyale qui n’épargne pas le monde culturel : en effet, ces multinationales ne participent pas non plus aux mécanismes de financement de la création, alors même qu’elles proposent des œuvres culturelles et qu’elles concurrencent les services déjà établis.

Le rapport du groupe d’experts est donc le bienvenu mais il reste peu surprenant dans ses conclusions et ne change finalement rien  à la donne :

–          Les experts rejettent l’option des mesures type ‘taxe Google’, prenant ainsi le contre-pied des positions française et espagnole sur le sujet. « L’économie numérique ne nécessite pas un régime fiscal distinct ». Comprenez : les entreprises du numérique sont des entreprises comme les autres, il faut certes adapter les règles actuelles mais pas leur appliquer des mesures spécifiques;

–          Le groupe accueille positivement l’évolution du système de TVA à compter de 2015 (avec une période de transition jusqu’au 1er janvier 2019). La TVA relèvera alors du pays où réside le consommateur. Ils rappellent néanmoins que ce changement de règles ne concernera que les transactions entreprises-consommateurs (B2C), et appellent à ce que le principe de destination soit appliqué à tous les biens et services.

–          Dans la lutte contre l’optimisation fiscale, les experts reconnaissent que c’est le projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) du G20 et de l’OCDE qui comptera vraiment. Ils recommandent donc aux pays de l’Union Européenne d’adopter une position commune, pour parler d’une même voix et avoir du poids dans ces négociations ;

–          Le rapport soutient l’instauration d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), proposée en 2011 par la Commission européenne.

–          Il évoque enfin d’autres pistes pour le long terme, plus radicales, dont un impôt sur les sociétés fondé lui aussi sur le principe de destination ;

En parallèle, la Commission a lancé une enquête de conformité le 11 juin dernier visant les pratiques fiscales de l’Irlande (concernant Apple), des Pays-Bas (pour Starbucks) et du Luxembourg (Fiat Finance and Trade), utilisant intelligemment l’une des seules armes dont elle dispose : le contrôle des aides d’état. L’enquête porte sur la fixation des prix de transfert, le « tax ruling ». Comme l’explique Le Monde, cette pratique « permet à une entreprise de demander à l’avance comment sa situation sera traitée par l’administration fiscale d’un pays et d’obtenir certaines garanties juridiques ». Des garanties qui, si elles confèrent un avantage sélectif, pourraient constituer des aides d’Etat déguisées, et illégales.

Même si ses capacités sont limitées, face à des Etats frileux qui gardent la main dans ce domaine, la Commission européenne a témoigné de sa volonté de s’attaquer au problème. Mais qu’en sera-t-il de la prochaine présidence? Aura-t-elle le projet de mener à bout les pistes d’action esquissées durant la précédente mandature? Le Parti Populaire Européen, sorti vainqueur des élections européennes, et son candidat à la présidence, Jean-Claude Juncker, étaient restés silencieux sur le sujet durant la campagne et dans leur programme, alors que d’autres faisaient de la lutte contre le dumping fiscal, la fraude et l’évasion fiscales leur priorité. Les géants de l’optimisation fiscale ont donc probablement encore de beaux jours devant eux tant la Commission européenne risque d’avoir grand-peine à rattraper le train numérique pour rendre plus juste la fiscalité.

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